XXe siècle
Les peintres de Sainte-Rose
Sainte-Rose a toujours été un village abritant de nombreux artistes peintres.
Dans la deuxième moitié du XXe siècle cinq grands artistes visuels ont fait de Sainte-Rose leur lieu de création: Clarence Gagnon, Alfred Pellan, Frédéric Back, Gaétan Therrien et Marc-Aurèle Fortin. Ce dernier ayant été largement inspiré par le décor champêtre du village, en particulier par ses ormes magnifiques, nous avons choisi de présenter le rapport entre les arbres et les hommes avec certaines œuvres de ces peintres qui tous se sont intéressés aux arbres comme expression de leurs émotions.
Comme l’orme fut l’arbre emblématique de Fortin et de Sainte-Rose, une petite section s’y attarde.
Texte et recherche: Josée Simard
1888-1970
Marc-Aurèle Fortin
Le peintre à bicyclette
Né à Ste-Rose, (326 boul. Ste-Rose) il revient y vivre en 1935 après un séjour formateur en France. Il y installe son atelier en 1948. Il parcourt la région des Basses-Laurentides à bicyclette croquant sur le vif les paysages. Victime des affres d’un diabète mal soigné, en fin de parcours, il est enterré au cimetière du Vieux Ste-Rose.
Peintre paysagiste traditionaliste à une époque où les arts visuels sont en plein changement, il peint des paysages, souvent campagnards, dans lesquels il met, d’une manière toute particulière, les arbres en valeur, qui en acquièrent ainsi une dimension symbolique identitaire redonnant au patrimoine végétal québécois toute sa grandeur, alors que le début du 20e siècle le détruit étourdiment. Maisons et personnages y sont à peine des taches de couleurs se perdant dans l’immensité feuillue.
Son premier contact avec les arbres, qu’il appelle ses frères, se fait auprès d’un immense orme à Pont Viau : «L’arbre se penche vers moi, il entre dans mon tableau gentiment.» Les arbres sont pour lui de grands seigneurs qui soutiennent le ciel au-dessus de nos têtes en créant le calme et des jours heureux. Leur feuillage est une crinière qui crée un chant du vent dans les feuilles.
«Les cathédrales végétales» période dite «des grands arbres» dans l’œuvre de Marc-Aurèle Fortin.

Les ormes de Marc-Aurèle Fortin
Frère Marie-Victorin avait sollicité les peintres de l’époque à porter un regard sur la nature d’ici pour créer une peinture nationaliste. Le poète Albert Ferland et le dessinateur Edmond-Joseph Massicotte, amis de Marc-Aurèle Fortin ont comme lui répondu à cet appel. Fortin écoute la «chanson des ormes» et peint leur stature autant que leurs «ombres langoureuses».

Kent William, tiré de la bande dessinée The fountain
La symbolique
L’orme est le symbole de l’hybride, à la croisée du monde infernal et du monde terrestre, à la croisée du passé, du présent et du futur.
- Pour les Grecs, l’orme était l’arbre d’Hermès et d’Oneiros (dieu des songes et de la nuit). Les fruits ailés accompagnaient les âmes des défunts devant le juge suprême
- Pour les Celtes, il symbolisait la générosité
- Pour les Romains, il incarnait la féminité
- Pour les Gaulois, il représentait la personnalité de certains individus
- Pour le Moyen Âge, en Occident, planté sur le parvis des églises il évoque les «saints martyrs», peut-être en raison de sa sève couleur rouge sang. Les ormes étaient le point de rencontre après la messe
Pour Marc-Aurèle Fortin, il est un personnage majestueux qui discute avec le vent. Il est le conquérant du ciel. Il pourrait être le double intérieur de Fortin, l’incarnation de son énergie.

L’usage
Dès le 1e siècle, le médecin grec Dioscoride le recommande pour cicatriser les plaies et soigner les blessures.
Au Moyen Âge, Hildegarde utilise l’orme pour lutter contre l’humeur noir et les troubles de la parole.
François I, Henry II, puis Henry IV, et Sully font tous planter des ormes le long des routes parce que le bois de l’orme était recherché pour confectionner des moyeux de roues, des poulies, des engrenages, des affûts de canons ou des quilles de bateaux à voile, d’où sa plantation massive au bord des routes et des fleuves.
Les Ormes peuvent pousser dans des habitats variés, mais on les trouve le plus souvent dans les stations humides et riches comme les plaines alluviales.
- Parce qu’il est très résistant, il a servi à construire de nombreux ponts couverts au Québec.
- Son bois entre aussi dans la fabrication d’articles spéciaux comme les bâtons de hockey.
- On l’utilise pour la fabrication des châssis de piano, des cercueils et des meubles.
- On le plante souvent dans les villes comme arbre ornemental alors que dans les campagnes il fait office de parasol pour les animaux des champs.
- On l’a utilisé en Amérique du Nord pour ses « effets de tunnel » le long des routes.
1881-1942
Clarence Gagnon
Le peintre-poète du paysage et des traditions populaires québécoises
Né à Montréal, sa famille s’installe à Ste-Rose de 1883 à 1891. Son père y achète également une île sur la rivière des Mille-Îles où il établit des chalets pour les riches anglophones qui adorent l’aspect champêtre de Ste-Rose. La famille Gagnon est voisine de celle des Fortin (328 boul. Ste-Rose). Clarence Gagnon partagera son temps entre le Québec et l’Europe, ses deux sources d’inspiration.
De style impressionniste, il peint les paysages dans une grande harmonie chromatique où il aime intégrer la présence humaine. Il préfère peindre in situ plutôt que dans le style académique. Charlevoix, et en particulier Baie St-Paul, sont les lieux de prédilection de ses toiles et eaux fortes.
Clarence Gagnon traduit avec une sensibilité extraordinaire la lumière incomparable des hivers québécois. Il met au point ses propres couleurs à partir de pigments broyés dès 1923. Dans une de ses illustrations du roman de Louis Hémon, Maria-Chapdelaine, il présente la mince couverture blanche d’une neige d’octobre aux taches jaunes et rouges de mille nuances des bouleaux, des trembles, des aunes et des merisiers. La seconde toile s’attarde sur les riches couleurs de l’été indien si particulier au Québec.
1906-1988
Alfred Pellan
Le peintre moderne avant-gardiste
Né à Québec, après de nombreux séjours en France, il s’installe à Ste-Rose est (aujourd’hui Auteuil au 649 Boul des Mille Îles), dès 1950 et y demeurera jusqu’en 1988. Premier boursier en beaux-arts du gouvernement du Québec, il va étudier à Paris. Il revient au Québec au moment de la guerre et enseigne à l’école des Beaux-Arts dont il critique l’approche théorique et trop académique.
Nettement influencé par le mouvement surréaliste parisien, il forme le groupe qui signe le manifeste Prismes D’Yeux ( qui précédera le «Refus global» de Borduas) dans lequel les artistes défendent la liberté totale dans l’expression: «Prisme d’Yeux, se rallie à la plus ancienne esthétique, à la plus éprouvée, à la plus contemporaine aujourd’hui comme à l’époque des cavernes: celle qui ouvre toutes les voies, souvent opposées, mais également possibles et vraies comme le jour et la nuit, le feu et l’eau… Donc la plus révolutionnaire!».
L’arbre coupé pourrait nous évoquer la terrible perte des ormes du boulevard Ste-Rose à cause de la maladie de l’orme qui a décimé ces arbres peints par Marc-Aurèle Fortin.
D’autre part, l’artiste place des éléments en plastique dans la toile Jardin mécanique créant une fleur tridimensionnelle qui ressemble à un moulin à vent, une sorte de plante-machine. La couleur correspond à la lumière blanche filtrée à travers un prisme.
1924-2013
Frédéric Back
Le maître de l’animation
Né sur le territoire de la Sarre (Allemagne), rattaché à la France, il découvre le Canada par les illustrations de Maria Chapdelaine de Clarence Gagnon. Il s’établit à Montréal en 1948 où il succède à Borduas à l’école du meuble. Il y rencontre Pellan. Il devient propriétaire d’une petite maison au 111 boulevard Ste-Rose, première maison patrimoniale reconnue avec une plaque commémorative par l’ACAVSR.
Il fait son entrée à Radio-Canada avec l’avènement de la télévision (1952) et y travaille jusqu’à sa retraite. Il utilise tous les moyens pour illustrer ses dessins : ficelles, tirettes, élastiques, ressorts créant un véritable laboratoire d’animation.
Back est l’ambassadeur de la première heure de la cause environnementale. L’œuvre représente cinq ans de travail et 20000 dessins avec crayons de bois Prismacolor sur acétate dépoli. Il y raconte l’histoire d’un homme simple qui, à force de persévérance, parvient à faire surgir une forêt dans une région désertique. Il cherche à sensibiliser le jeune public à la beauté du monde et au respect que l’on doit aux animaux et à la nature. Suite au film de nombreuses initiatives de plantation d’arbres ont vu le jour dont celle de l’ACAVSR de Ste-Rose pour la replantation de nouveaux ormes le long du boulevard.
1927-2005
Gaétan Therrien
Le sculpteur et homme de foi
Né à Drummondville, il se fait construire un atelier et une maison derrière celle de ses parents (940 des Patriotes) sur la rue Bouffard à Ste-Rose. Il a rejoint Marc-Aurèle Fortin au cimetière de Ste-Rose. Diplômé en sculpture de l’école des Beaux-Arts de Montréal et impliqué dans le milieu socio-culturel il affirme : «L’art est la recherche de la beauté, il se doit d’être le témoin de la société».
Dans sa période révolutionnaire il écrit Manifeste 221, véritable charge contre l’art de cette époque (récupération d’objets banals et Pop art) qui n’a plus rien à voir avec un idéal de beauté. Il déclare: «Que reste-t-il des artistes? Des œuvres? Non! On les a emprisonnées, pour mieux les oublier, dans les sous-sols de galerie ou les armoires, poussiéreuses, des oubliettes de musée.» Dans sa pratique, il aborde souvent des thèmes religieux et utilise divers matériaux: pierre calcaire, onyx, cuivre martelé et marbre.
L’arbre est une des rares œuvres peintes où l’artiste s’intéresse avant tout au paysage. Tout comme pour ses sculptures, les jeux d’ombre et de lumière sont à l’avant-plan et l’arbre, ainsi dessiné, en devient un personnage de la toile.
Gaétan Therrien a peu travaillé les arbres mais plutôt la représentation des êtres humains où il rend hommage à la résilience. Il croit que toute la nature s’inscrit dans l’ovale et le cube dont l’alliance provoque le mouvement. Il abandonne les lignes des vêtements et du visage pour simplement évoquer, suggérer. Les jeux de l’ombre et de la lumière s’entrecroisent dans ses sculptures.
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